Intervention de Georges Gontcharoff, co-fondateur de l’Adels et membre de l’Unadel, pour comprendre les récentes lois territoriales.
Comprendre les récentes lois territoriales, très complexes, nécessite de prendre du recul sur le sujet à partir d’un tableau général du contexte. Ces lois constituent en effet l’acte 3 de la réforme lancée par Nicolas Sarkozy lors de son discours de St Dizier le 20 octobre 2009. Il y expose quatre idées majeures, toujours en cours aujourd’hui :
- la simplification du millefeuille
- la clarification des compétences
- la volonté de faire des économies
- une modification totale de la doctrine officielle d’aménagement du territoire.
L’aménagement du territoire, philosophie sous-jacente
A l’époque du Général de Gaulle, la DATAR conçoit le territoire national en 420 espaces de base, portant souvent le nom de la ville centre, au sein desquels le rural et l’urbain sont en inter-action et s’enrichissent mutuellement. Depuis 2005/6, la doctrine officielle, fondamentalement différente, privilégie le tout urbain. Désormais, le développement devra se faire à partir des villes et l’espace rural se placer sous « leur robinet ». La France perdant du terrain dans la compétitivité européenne et internationale, des métropoles doivent donc être créées afin de constituer de grands pôles urbains dont la vocation est de devenir les locomotives du développement de l’ensemble du pays, les « cluster ». Ces pôles autour desquels l’économie s’exacerbe, sont considérés comme source de progrès permettant l’accumulation du capital économique et de la matière grise.
Cette vision nouvelle, largement répandue à l’échelle mondiale, partagée aussi bien par Nicolas Sarkozy que François Hollande, aboutit à la croissance des communautés d’agglomérations par rapport aux communautés de communes, donc au détriment du rural.
Si le Sénat est passé à gauche, c’est d’ailleurs parce que les élus ruraux se sont sentis méprisés par Nicolas Sarkozy. Mais le mépris actuel est encore plus fort.
Cette vision, que l’on pourrait résumer par « plus c’est gros, plus c’est beau », pose le problème de la proximité. Elle met en place un éloignement du pouvoir et s’oppose aux connaissances interpersonnelles locales qui permettent de se sentir partie prenante d’un territoire et sont plus favorables à l’action. Elle induit aussi une autre conception de la citoyenneté.
Dans ce modèle, les espaces ruraux ne seront plus des espaces essentiellement agricoles, mais d’abord des « espaces de récréation » pour les urbains. Un revenu complémentaire devra être versé à des petits agriculteurs polyvalents pour l’entretien de l’espace rural afin que les urbains le fréquentent ; leur seront également dévolue une fonction environnementale de défense du patrimoine naturel.
La simplification du millefeuille
Plusieurs lois ont tenté d’y apporter une réponse : la loi du 16 décembre 2010, pendant la présidence de Nicolas Sarkozy, un train de lois, depuis celle de François Hollande, dont trois principales : la loi sur les métropoles (loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique et d’affirmation des métropoles), le redécoupage des régions (loi du 16 janvier 2015) et la loi NOTRe (7 août 2015).
Cela concerne tout d’abord les communes, au nombre de 36 000 ! Un record mondial, que l’on partage avec le Québec.
Depuis 40 ans, le pouvoir central et les fonctionnaires des ministères ragent contre leur trop grand nombre. Or, chaque fois qu’on a voulu toucher aux communes, on s’est « cassé les dents ». Cela fut le cas, pour prendre un exemple, de la loi Marcellin du 16 juillet 1971 relative à des procédures de fusion et de regroupement communal. L’esprit de clocher a diminué mais il existe toujours. Comment faire ? Jusqu’à présent, la réponse française a été trouvée dans l’intercommunalité, assortie de délégation des compétences principales et des finances.
Mais l’intercommunalité s’est faite, depuis 1990, sur la base du volontarisme pour aboutir, en 2010, à une carte hétéroclite assortie d’un coût exorbitant. D’où la décision d’en réduire le nombre.
La loi 2010 les interdit à moins de 5 000 habitants (sauf quelques dérogations, notamment en zones de montagne). En 2011, une restructuration a été engagée par les préfets, mais 30 départements ont refusé les schémas proposés.
Les socialistes qui avaient hurlé à l’époque, considérant qu’il s’agissait d’une atteinte intolérable à la liberté d’auto-organisation, une fois au pouvoir, sont allés plus loin : la loi NOTRe les interdit à moins de 15 000 habitants. L’année 2016 devra aboutir à un nouveau redécoupage avec le projet de schéma départemental proposé par les préfets en octobre (disponible sur internet) au terme duquel une modification est possible à condition que 2/3 des élus se mettent d’accord.
Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, il ne reste plus que 2 300 communes isolées hors intercommunalité, mais ça ne fait pas diminuer le nombre de communes, ni celui des élus locaux (505 000). Pour y remédier, la loi du 16 mars 2015 crée la commune nouvelle, autrement dit la fusion de communes. Tous les spécialistes sont surpris de voir que ça marche ! Force est effectivement de constater un petit frémissement avec 300 ou 400 communes de moins au 1er janvier 2016.
Les syndicats intercommunaux sont aussi très nombreux - plus de 8 000 ! - et très complexes. Nicolas Sarkozy souhaitait les diminuer de moitié. La loi NOTRe poursuit le processus : ils doivent disparaître pour au moins les 3/4 selon une règle simple : en cas de compétences communes avec les communautés, ils seront dissous et les compétences transférées.
La disparition des départements, dont on parle depuis longtemps, a été officialisée par le rapport de la « Commission pour la libéralisation de la croissance française » de 2008, sous la direction de Jacques Attali. Ce rapport propose leur suppression immédiate considérant qu’il s’agit de structures désuètes, inutiles et gérées par du personnel politique médiocre. Le rapport du Comité pour la réforme des collectivités locales de 2009, présidé par Edouard Balladur, plus prudent, suggère de les vider de leurs substances pour qu’ils deviennent des coquilles vides d’ici 10 ou 15 ans. Leur disparition, revenue à l’ordre du jour avec le discours d’investiture de M. Valls, est finalement abandonnée.
Malgré tout, quelques idées subsistent sur le sujet comme leur fusion 2 par 2 ou la disparition de ceux qui ont une grande métropole.
Quelles qu’aient été les réalisations effectives sur le terrain et les oppositions rencontrées, ces différentes réformes ont lancé un mouvement de restructuration qui va au-delà de la lettre de la loi.
Quelles traductions en termes de compétences ?
Les régions, à l’exception de quelques matières très précises, ont des compétences stratégiques qui leur confèrent une fonction de prospective avec pour finalité d’orienter l’action. La méthode des schémas - 17 à 18 différents par région - permet en effet de tracer les politiques régionales à un horizon de 10-15 ans, comme par exemple l’éolien, la protection des milieux humides, etc.
Leurs domaines principaux concernent le développement économique, l’aménagement du territoire, la formation professionnelle et l’apprentissage avec une question en suspens, celle de leur caractère prescriptif. Ces schémas s’imposent-ils aux autres collectivités, sachant, en effet, qu’ils risquent d’entrer en contradiction avec l’article 72 de la Constitution qui stipule que les collectivités s’administrent librement et qu’aucune ne peut exercer de tutelle sur une autre ?
Pour éviter d’avoir à réviser la Constitution, la loi NOTRe a trouvé une parade : les schémas régionaux sont rendus prescriptifs par la co-signature du Préfet. Une grande nouveauté qui donne à ce dernier la possibilité d’intervenir beaucoup plus dans les affaires régionales mais qui entre en contradiction avec le principe de la décentralisation.
L’idée de doter la région d’un pouvoir réglementaire lui permettant de voter des règlements d’adaptation de la loi aux spécificités locales aurait pu contre-balancer le pouvoir des Préfets. Mais cette évolution a été refusée par crainte d’un début de fédéralisme.
A côté de cette fonction principale de prospective, de cadrage et de mise en cohérence, les régions gèrent également les lycées et, depuis la loi NOTRe, les transports interurbains.
Venons-en à présent à la question de la compétence générale, dénoncée par Nicolas Sarkozy dans son discours de St-Dizier car source principale, à ses yeux, de gaspillage en particulier parce qu’elle rend possible les financements croisés.
A l’origine, on trouve la loi communale de 1884 - « le conseil municipal gère par ses délibérations les affaires de la commune » - étendue par la loi de 82, acte 1 de la décentralisation, aux départements et aux régions.
Après une montée en charge de l’Association des maires de France, la loi de décembre 2010 la supprime seulement pour les départements et les régions. Immédiatement, plusieurs secteurs de la vie associative montent eux aussi au créneau, avec à leur tête, le secteur sportif (celui qui reçoit le plus de subventions : 6 milliards par an, dont 5,5 des collectivités locales, principalement des départements). Après un rendez-vous avec Nicolas Sarkozy, en présence de tous les médaillés olympiques, le sport, suivi de la culture qui s’est engouffrée dans la brèche, gagnent la bataille et se voient maintenus dans le giron de la compétence générale attribuée aux communes.
Deux autres types de compétences viennent compléter ce système complexe : la compétence d’attribution exclusive et celle d’attribution partagée.
Seules les communes disposent donc des trois.
Les départements ont la compétente exclusive pour les collèges et la compétence partagée pour le sport, la culture et le tourisme.
Pendant la discussion de la loi de 2010 qui avait réduit les compétences des départements et des régions en les spécialisant, les socialistes avaient fait obstruction. François Hollande, à peine élu, fait donc voter une loi rétablissant la clause de compétence générale pour les départements et les régions. Mais la loi NOTRe, par réalisme économique, la supprime à nouveau.
Une nouvelle bataille s’engage alors sur les domaines concernés par la compétence d’attribution partagée - sport, culture, tourisme – qui aboutit à leur maintien. Dans la foulée, l’éducation populaire et les langues régionales sont intégrés.
La bataille est donc gagnée, mais avec des contre-parties. La loi introduit en effet une obligation : la « conférence régionale de l’action publique », présidée par le président de région, qui doit se réunir une fois par an, rassemblant des élus des différents niveaux, afin d’adopter une convention de partage de la mise en œuvre des compétences partagées pour éviter les financements croisés.
Une grande inconnue à ce jour, la convention de partage ayant toutes les chances d’être différente d’une région à une autre.