Jean Gondonneau, Président de l’Union Peuple et Culture de 2001 à 2007, est décédé en novembre 2022. Nous souhaitons lui rendre hommage par ce texte qui retrace son parcours aux dimensions multiples.
Né le 26 août 1939 à Loubès-Bernac (Lot-et-Garonne), Jean Félix Gondonneau est le fils d’un instituteur qui mourut à la guerre en 1940. Élevé par sa mère également institutrice et résistante dans un environnement laïc, il est néanmoins baptisé et fait sa communion. Jean entre à l’École normale d’instituteurs de Rouen où il fait une rencontre importante pour le reste de sa vie professionnelle et militante.
Militant de l'éducation populaire
Jean Ader (1925-1997), militant de Peuple et Culture depuis 1948 et responsable de ce mouvement pour la Seine-Maritime, ancien élève de l’École Normale Supérieure de Saint-Cloud, est le professeur de philosophie de Jean à l’École Normale de Rouen. C’est dans ce cadre que Jean est initié à la sociologie par Jean Ader qui est en relation avec des chercheurs comme Paul-Henry Chombart de Lauwe ou Joffre Dumazedier.
Ainsi, après sa formation à l’École Normale, Jean enseigne en cours complémentaire pendant trois ans puis au collège, avant d’être mis à disposition du mouvement d’éducation populaire Peuple et Culture en 1962. Sur une mission de coordination entre la structure nationale et les groupes régionaux de Peuple et Culture.
À cette époque, premier et unique salarié de Peuple et Culture Haute-Normandie, il travaille avec Jean Ader et Gérard Héliot (1938-1982), également rencontrés à l’École Normale de Rouen, sur l’organisation des loisirs culturels par les comités d’entreprise. Il passe une grande partie de son temps à favoriser l’esprit critique et à agir pour l’émancipation des personnes dans une diversité de milieux sociaux. On peut citer
- les milieux populaires avec la Mission populaire et la formation des foyers de jeunes du Havre avec le « prêtre-ouvrier » insoumis Jean-Marie Huret (1924-2004),
- les milieux ruraux avec la Mutualité sociale agricole,
- les milieux du commerce et de l’industrie avec la formation d’agents de vente et de maîtrise
- ainsi qu’au Centre interarmées de formation d’animateurs d’Angoulême1 avec Marcel Vigny (1910-1988), inspecteur de la jeunesse et des sports qui, aux côtés de Joffre Dumazedier fut, en 1945, un des fondateurs de Peuple et Culture au sein duquel il sera l’animateur de la commission rurale durant 15 ans.
A tous ces milieux, il faut ajouter les partenariats avec les mouvements de jeunesse et de l’animation dont les Eclaireurs de France - que sa femme Arlette, a présidé jusqu’au début des années 80 -, les CEMEA, les FRANCAS, La Ligue de l’enseignement.
Dans toutes ces actions, Jean s’appuie sur la méthodologie d’autoformation dite de l’Entraînement Mental inventée par Joffre Dumazedier pour favoriser l’accès de tous au savoir, à l’échange et à la confrontation.
Cependant, au bout de quelques années, des tensions se manifestent entre les aspirations du groupe régional et les orientations nationales. C’est une période conflictuelle au sein de Peuple et Culture, qui comme beaucoup d’associations de cette époque est marquée par une organisation très verticale et centralisée, avec une propension au contrôle par les fondateurs historiques du mouvement des associations territoriales qui revendiquent une autonomie incarnée par une nouvelle génération. Or le poids des régions reste relatif et Peuple et Culture ne tire pas assez parti de cette diversité.
Jean est favorable à l’inter-régionalité. Il pense qu’une équipe nationale est nécessaire mais qu’elle ne devrait pas entraver la vitalité régionale.
C’est dans ce contexte que Peuple et Culture Haute-Normandie rompt durant un temps avec le mouvement national et prend le nom de Peuple Éducation Culture puis Éducation Culture après qu’un procès lui soit fait par Peuple et Culture National pour usage abusif ! Après ce procès l’association n’entretient plus de liens formels ni informels avec Peuple et Culture National.
Ce n’est qu’en 1994 que des liens institutionnels vont se renouer juste avant les cinquante ans de Peuple et Culture (1995) devenue l’Union Peuple et Culture, les démarches entreprises, notamment par Jean-François Chosson (1928-2003), aboutit au fait qu’Éducation et Culture redevient Peuple et Culture Normandie et adhère à l’Union. De nouveau très impliqué dans le mouvement national, alors qu’il est président de Peuple et Culture Haute-Normandie, Jean est élu président de l’Union Peuple et Culture de 2001 à 2007. Durant cette période, il est un président très investi et parcourt la France de long en large.
Militant de la formation sociale émancipatrice et Universitaire
Une autre rencontre professionnelle puis amicale oriente et influence une partie importante de la vie professionnelle de Jean. A la demande de René Boucher (1943-2018), éducateur de rue à Rouen au sein de l’AREJ (Association Rouennaise d’Éducation de la Jeunesse) dans le quartier populaire de la Croix-de-Pierre, un stage d’Entraînement Mental d’une semaine est réalisé avec des jeunes de ce quartier. À partir de cet épisode, René Boucher crée au sein de Peuple et Culture, alors présidé par Gérard Héliot, un Centre de formation en cours d’emploi pour les éducateurs spécialisés et animateurs avec la participation de Jean au premier chef. C’est le début de l’épopée de l’IRTS en Haute-Normandie dont Peuple et Culture est une association fondatrice.
Alors qu’il est engagé dans le centre de formation des travailleurs sociaux au début des années 1970, il acquiert aussi une véritable reconnaissance académique. Depuis 1971, il est chargé de cours à l’université de Rouen en sociologie de l’éducation et en 1972, il devient docteur en sociologie avec une thèse sur la sexualité et plusieurs publications d’ouvrages2 sur cette thématique qui lui apporte une reconnaissance académique mais aussi une certaine aura médiatique3.
Lorsque l’IRFTS qui deviendra l’IRTS est créée en 1975, il incarne une figure intellectuelle et socio-pédagogique centrale de cette institution au sein de laquelle il occupe les fonctions de formateur, puis de Directeur adjoint de 1986 à 1992. Il y agit avec les valeurs humanistes de Peuple et Culture, notamment le respect de l’individu comme un acteur capable de transformation sociale et d’émancipation
Militant pour les droits des femmes
Un autre engagement est central dans la vie de Jean : on peut parler d’un engagement féministe. En pleine période de bouleversements culturels et des mœurs, la lutte pour les droits des femmes, notamment en matière de contraception et d’éducation sexuelle, est un grand combat de sa vie. En effet, depuis 1967 la loi Neuwirth autorise la vente et l’utilisation des moyens contraceptifs entraînant la dissociation entre procréation et sexualité.
Ainsi, en continuum de son engagement pour l’éducation populaire, Jean milite avec conviction au Planning familial qui joue un grand rôle dans la lutte pour le droit à la contraception, l’information sexuelle et la formation des médecins sur ces questions. Il occupe la fonction de secrétaire national du Planning Familial entre 1968 et 1974.
En tant que secrétaire national et sociologue, alors qu’en France les débats sur la sexualité sont vifs (affaire Jean Carpentier, procès Bobigny, etc.), Jean fait partie de l’équipe de recherche avec Lucien Mironer et Anne-Marie Dourlen-Rollier qui, sous la direction du Docteur Pierre Simon et avec la collaboration de l’Institut français d’opinion publique, réalise et publie en 1972 un volumineux « Rapport sur le comportement sexuel des Français ».
Militant politique
Durant cette même période, il fait la connaissance de la sociologue spécialiste de l’animation, de l’éducation populaire et du militantisme associatif, Geneviève Poujol (1930-) et de son mari (1954 à 1968) Michel Rocard. En effet, depuis sa création, Jean est membre du PSU et partage les opinions de Michel Rocard qui est secrétaire national du PSU(1967-1973). Lorsqu’il se rallie au Parti socialiste en 1974, Jean reste rocardien. Il est même élu Conseiller régional de Haute-Normandie en 1986 puis élu d’opposition de 1989 à 2000 à Bonsecours.
Mais au-delà de l’environnement politique qui l’avait déçu, c’est dans le monde associatif et l’économie sociale et solidaire que Jean s’est engagé très activement : dans Formapec (auto-didacthèque à destination des publics en difficulté entre autres) et à partir du milieu des années 1990, il intègre le Comité régional d’éducation de la santé, le Comité régional des associations de jeunesse et d’éducation populaire (CRAJEP), la Chambre régionale de l’économie sociale et solidaire et nombre d’autres associations.
En définitive, toute sa vie durant, à partir de ses combats pour l’éducation populaire, la formation pour adultes tout au long de la vie et le droit des femmes, Jean a su mobiliser son érudition, ses capacités de travail hors du commun et son goût pour la précision des mots, pouvant apparaître quelque fois obsessionnelle. Articulant « faits, idées, actes », Jean s’est mis au service d’une vision humaniste de la société qu’il a tenté de rendre un peu meilleure. Il était un homme engagé, rigoureux sur les principes, mais très chaleureux, humaniste profond et sensible.
Sa disparition nous rend tristes mais ses combats sont toujours d’actualité et restent à continuer.